Histoires de Paris

Balzac et son épouse millionnaire

Il écrivait pour rembourser ses dettes. Elle vivait dans un château de contes de fées en Ukraine. Après dix-huit ans de correspondance, six mois avant de mourir, Honoré de Balzac accomplit finalement son rêve: épouser madame Hanska, une aristocrate européenne. Lire la Suite
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Balzac et sa canne par Daumier, 1841, portrait de Mme Hanska par Jean Gigoux

Balzac et sa canne par Daumier, 1841, portrait de Mme Hanska par Jean Gigoux

La comtesse Hanska s’ennuyait ferme. Cette arrière-petite cousine de la reine Marie Leszczynska, épouse d’un comte à la tête d’un immense domaine ukrainien, décide un jour d’écrire une lettre à Honoré de Balzac. Rédigée par sa gouvernante suisse, la missive est signée « l’étrangère ». Elle arrive sur le bureau de Balzac le 28 février 1832, mais plusieurs semaines passent avant qu’elle soit dépilée: c’est que tout nouveau auteur à la mode grâce au succès fulgurant de son essai « La physiologie du mariage », – un pot pourri de conseils et d’avis pour réussir sa vie conjugale -, Balzac reçoit alors un abondant courrier d’admiratrices féminines. La lettre flatteuse loue ses qualités de grand écrivain. Il répond par une allusion destinée à être comprise de « l’étrangère » dans le feuilleton qu’il publie dans une revue littéraire.
Au second courrier reçu, Balzac répond par une déclaration: « je vous aime inconnue », tout à son désir romantique d’atteindre l’élue que le destin lui réserve. Il subodore aussi que l’étrangère est de grande condition et de grande richesse, ce qui lui siérait bien ! La correspondance s’intensifie. L’inconnue finit par se dévoiler, en persuadant son mari de séjourner avec elle à Neuchâtel, et en organisant une rencontre, brève mais décisive, en 1833. Balzac est follement amoureux, et elle n’est pas insensible à ses charmes, même si, écrit-elle à son frère, ce grand génie littéraire « se mouche dans sa serviette… »
L’année suivante, en 1834, la ville de Genève est l’écrin de leur ydille naissante: leur relation devient charnelle et ils nouent des fiançailles. En 1835, une lettre enflammée de Balzac est interceptée par le mari, le comte Hanski. On feint la plaisanterie et le comte, peut-être pas tout à fait dupe, accepte l’explication… Ensuite ? Plus rien ou presque de concret pendant dix ans, sauf une tentative: Balzac se rend à Vienne et loue calèche et livrée, -malgré ses finances calamiteuses !-, pour la revoir mais ne parvient pas à l’approcher. Il se console avec l’accueil triomphal que lui fait la haute société viennoise.
La correspondance entre Madame Hanska et Balzac, 414 échanges au total en 18 ans, se maintient mais s’étiole.
Ewelina Hanska par le viennois Waldmüller, 1835

Ewelina Hanska par le viennois Waldmüller, 1835

En 1842, le comte Hanski décède. Balzac croît l’heure du mariage arrivée, mais la montagne de dettes contractées par l’écrivain lors de ses tentatives de créations d’affaires (imprimerie, revue littéraire, mines d’argent en Sardaigne), et sa réputation de séducteur ne plaident pas pour lui. Au terme d’un voyage d’un mois jusqu’en Ukraine, il rentre bredouille. En août 1845, Madame Hanska cède, elle convie Balzac à un voyage en Italie avec sa fille et son gendre. Désormais amants, ils sillonnent l’Europe, et rattrapent le temps perdu. Ils coulent des jours heureux dans le domaine ukrainien de Wierzchownia. Balzac, petit fils d’un paysan occitan, se rêve en hobereau de l’empire tsariste. Mais il doit rentrer à Paris. Tel un Prométhée créateur et sans cesse châtié, il poursuit à corps perdu la rédaction de sa grande oeuvre, la comédie humaine. Il achève « La cousine Bette », au personnage inspiré de la gouvernante suisse de Madame Hanska. Il court les broquantes, meuble l’hôtel acheté près des Champs-Elysées où il accueillera sa future épouse. Hélas, sa vie de forçat littéraire l’a épuisé: sa santé est déclinante. En 1850, à Wierzchownia, son union avec Evelyne Hanska est enfin célébrée. Au retour, ses forces l’abandonnent. Ses six mois de vie conjugale ponctuent leur relation. Veuve, Evelyne de Balzac prendra en charge les dettes de son mari.
Ils reposent ensemble au Père Lachaise, sous le buste de Balzac sculpté par David D’Anger, là où Eugène Rastignac dans « Le Père Goriot » a cette formule célèbre: « Paris à nous deux, maintenant ».
Notes
  • Stefan Sweig, « Balzac, le roman de sa vie »
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